Le Sahara. Barrière ou Pont. M Cote 2014 (CR)
Posté par amorbelhedi le 10 octobre 2014
Le Sahara. Barrière ou Pont. Marc Côte, Méditerranée, 2014, Presses Universitaires de Provence, Aix-Marseille Université, 158p
Compte Rendu in Revue Tunisienne de Géographie (RTG), n°43, 2015, pp: 111-117.
La démarche a été d’observer le rôle du Sahara dans l’espace de la planète Terre, quelle est la place de la nature et la responsabilité des hommes ? Le Sahara s’interpose en travers de l’Afrique et en occupe le tiers en séparant deux mondes : le Maghreb et la Méditerranée au Nord, l’Afrique blanche est berceau de grandes civilisations et de grandes religions avec deux grands foyers le Moyen Orient d’abord, ensuite l’Europe. Au Sud, l’Afrique noire, domaine tropical et berceau de la négritude avec des foyers plus dispersés de l’Afrique tropicale. Entre ces deux rives, le Sahara a été tantôt étanche, tantôt perméable, une barrière et un pont. Le Sahara est comparable, à ce titre, à un océan. La réponse a été variable au cours de l’histoire, chaque période a laissé des « sédiments » alternant ouverture et repli liés à des facteurs climatiques et humains de type géopolitique et laissant de riches héritages.
Pour cela, Marc Côte adopte une démarche géo-historique, de nature à répondre à ces multiples questions dont la réponse n’est pas unique, dans une optique territoriale où le territoire est une création humaine sur un espace donné à une période déterminée. Il s’agit de présenter « non une histoire mais une géographie de ce grand désert en chacun de ses temps forts », démarche nécessaire pour comprendre le présent.
Revisitant le travail colossal de Robert Caport-Rey (1953), l’auteur réfute le déterminisme implicite sous-jacent et considère que les populations actuelles sont les héritages d’une histoire, souvent « étonnante et passionnante » qui va être le fil directeur de l’ouvrage. Six moments sont retenus par l’auteur : trois temps de fermeture et trois d’ouverture où les causes du renversement requièrent un intérêt particulier dans le plus grand et le plus profond désert du monde. Trois périodes-barrières : le Sahara avant les hommes il y a 18000 ans, la fermeture liée à l’aridification (5000-10000ans), enfin le temps des Etats-nations et le Sahara frontière (depuis le XIX°). De l’autre on a trois périodes-ponts : le pluvial (5000-12000 ans), le temps des caravanes et le commerce transaharien (8 -18° siècles), enfin le temps de la mondialisation avec le renouveau des flux (l’aube du XXI°).
L’unité écologique de ce désert qui s’étend sur 5000×2000 km (E-O et N-S) touchant une dizaine de pays est sans conteste, d’où la nécessite d’une approche globale que ce soit en périodes de repli ou d’ouverture. L’étude se place aussi au niveau global dans une optique synthétique pour comprendre le Sahara actuel dans ses racines profondes avec une transcription cartographique systématique.
Le prologue est « le Sahara avant les hommes » avec un contexte d’ordre plutôt climatique. Le Sahara n’a pas été toujours un désert et l’analyse sur le temps long (400000 ans) montre des oscillations au niveau de Pléistocène et l’holocène avec quatre cycles glaciation-interglaciation donnant lieu à un processus de contraction-dilatation au niveau spatial. L’analyse porte sur la période récente qui concerne la présence humaine, c’est-à-dire il y a 20000 ans. Aridité et géologie façonnent les paysages : l’hyperaride correspond à la glaciation du Würm, le Sahara correspond au socle avec prédominance des formes plates et monotones qui vont guider l’implantation humaine. Au-delà de l’aridité, le déset anticyclonique présente un milieu varié : le sable domine le tiers, les regs forment les terrains de passage mais sont peu riches en eau, quelques massifs isolés et échancrés et des plateaux. La configuration physique orient les interventions humaines : l’ordonnancement zonal E-O de l’aridité avec une bande médiane flanquée de deux versants de moindre aridité de part et d’autre, donnant lieu à une complémentarité plutôt Nord-Sud liant les deux sahels méditerranéen et sahélien. Le schéma des itinéraires des oiseaux migrateurs en constitue un modèle avec des axes méridiens faisant alterner des aires du vide (carte p 19) : de l’ouest à l’est on a les axes maure, touareg (Gao-Kano vers Algérie), toubou (N’Djaména-vers Tripoli-Benghazi), nilotique (Khartoum – Le Caire). Les limites de ce Sahara ont été mouvantes, mais on peut retenir la limite xérique 300 (ligne de 300 jours secs) qui correspond grossièrement à l’isohyète 100/150 au Nord et 200/250 au Sud, la limite de la palmeraie (carte p 21).
La seconde partie est consacré au Sahara des rupestres qui correspond au premier temps d’ouverture entre 2000 et 10000 avant JC avec des savanes parcourues de girafes, de grands troupeaux de bœufs et des populations ayant laissé gravures et peintures. Le pluvial correspond à des laces et des oueds, d’immenses prairies, un bestiaire sans pareil : un biotope favorable à la vie humaine pendant 6 millénaires. La population est mélangée (surtout négroide et blanche) avec une remontée cers le nord de populations négroide parallèlement à celle des isohyètes il y a 8000 ans (carte p 25). Ces populations vivaient de la pêche, la chasse et l’élevage autour des petits lacs avec installation parallèlement au développement de l’agriculture. La Sahara constitue un véritable musée à ciel ouvert qui n’a pas encore dit son dernier mot. Le tassili constitue la zone de densité rupestre maximale. La Sahara constituait un foyer de culture au Néolithique. Pluvial, Holocène et Néolithique, trois périodisations différentes des climatologues, des géologues et des historiens, le changement climatique a devancé le changement humain sans tomber dans le déterminisme rigide. Le pluvial a laissé beaucoup d’héritages qu’il faut préserver : le patrimoine rupestre aujourd’hui menacé, le peuplement, les eaux du pluvial infiltrés dans les bassins sédimentaires formant de puissant aquifères pour l’alimentation en eau et l’irrigation.
La troisième partie traite de la seconde fermeture : le Sahara de l’aridification. Le retour à l’aridité est signe de fermeture et de repli, revenu un désert avec « des avancées et des résistances ». Cette période correspond à 3000-1000 av JC, la vie régressait, on passe des bovins aux chevaux puis aux dromadaires, les lacs se transforment en sebkas sur une période de près de trois millénaires avec un recul des limites de 100m.an vers le sud. Le désert était en place vers 2000 avant JC, la ceinture cyclonique est rigoureuse, elle dure jusqu’à maintenant avec des cycles courts dans un contexte interglaciaire ce qui reste parfois difficile à expliquer. La désertification (liée à l’intervention humaine locale) est venue conforter l’aridification (liée aux paramètres climatiques généraux). Le croit démographique au Néolithique a exercé une forte pression sur l’environnement néolithique, le maximum de peuplement a coïncidé avec le passage du Pluvial au désert.
Le changement climatique s’est déroulé sur deux millénaires, l’adaptation a été progressive : domestication, métallurgie, développement de l’élevage ovin et caprin et recul du bovin, sédentarisation et agriculture… Cette crise climatique s’est accompagnée par le repli des hommes dans des foyers sur les franges. L’Egypte constitue un exemple d’adaptation technique et sociale à l’aridification : l’Etat pharaonique organisa l’hydraulique et la mise en valeur de la vallée et fut « l’exception égyptienne », l’Egypte ancienne est la fille de la désertification et est le résultat de l’irrigation ? Les analyses montrent la présence de rapports entre les populations du Sahara et l’Egypte à travers la migration vers les rives du Nil. Durant cette phase, on a vu se développer la culture des équidiens.
Durant cette phase de repli, les chars et les équidiens font leur apparition notamment au nord (Tassili, Hoggar…) mais ne durent pas pour être remplacés par les dromadaires. Les populations émigrèrent vers les franges et constituent des « relictes » (peuls, nubiens, libyens, garamantes, harratins, bafours…carte p 52), le centre se vide, la frange nord se rattache à la Méditerranée tandis que l’Afrique noire s’isole.
La seconde ouverture concerne le Sahara des caravanes, le renouveau est plutôt humain beaucoup plus que climatique, le désert est en place depuis 2000 ans avant JC, et à partir du IX-X siècles la vie du Sahara renait à travers le commerce caravanier et le Sahara devient un espace à traverser. Le nouveau contexte géopolitique a fait que le Moyen Orient est devenu le centre du monde jusqu’au XIII siècle, les besoins en hommes et la connaissance du Soudan ont contribué à organiser les circuits commerciaux, l’esclavage, les janissaires, l’or et les marchandises. La découverte du Soudan (pays des noirs) est nouvelle, elle va être la source de l’or et de la main d’œuvre, les rahalat des géographes arabes vont permettre de connaître mieux ce nouvel horizon au-delà du Sahara au cours du VIII-X° siècles mais l’Afrique noire a aussi découvert le monde méditerranéen à la même période. Organisée en Etats structurés (d’ouest en est : Ghana, Mali,… Darfour….) l’Afrique noire a constitué un répondant aux Etats du Nord (de l’ouest vers l’est : Merinides, Zirides, Hammadites, Hafsides, Fatimides, Omeyades, Abassides). Le dromadaire devint le mode de déplacement commode avec l’assèchement et s’imposa dès le IV-VI° siècles avec le commerce caravanier à travers des itinéraires bien précis et sécurisés sur un réseau plutôt méridien, les itinéraires longitudinaux sont périphériques tandis que les itinéraires obliques concernent le pélerinage avec des nœuds comme Mali, Sijilmassa, le Caire ou Agadès (carte p 65). Ces routes sahariennes ont connu des translations entre le VIII et le XVI° siècle (carte p 69) en fonction de la concurrence et de la vitalité des Etats et des villes. L’or et les esclaves constituaient l’essentiel du trafic transaharien à côté des étoffes, épices, chevaux, ivoire, tandis que le sel et les dattes constituent le commerce régional. Dans ce contexte, des tentatives de réunifications des deux rives ont eu lieu : le Royaume saadien (XVI°), l’Empire almoravide (XI°), l’Empire du Kanen (XIII°) et le Royaume chrétien de Nubie (X°). Les oasis ont été les filles des échanges caravaniers et de nombreuses villes ont pu se développer pour constituer les portes du désert (Sijilmassa, ouargla, Tozeur, Ghadames, Zwila, Siwa, au nord, Tombouctou, Gao, Agadès au sud). Un repeuplement du Sahara s’est opéré progressivement parallèlement à l’islamisation, ancré sur les oasis et les villes, avec un visage berbère (touregs chleuh, zenêtes, kabyles, nefoussa, mozabites….) avec des communautés juives repliées, et une population noire descendante de l’esclavage.
La rupture a été avec l’émergence des caravelles et du commerce atlantique, la montée des Etats européens et dès le XV° les routes atlantiques vont doubler celles du Sahara. Les bouleversements du XVI au XIX° siècle vont contribuer au déclin du commerce transaharien : l’épuisement de l’or au sud, la colonisation au nord et la commande est passée à l’Europe qui s’ouvre plus sur l’Atlantique, l’or américain supplante celui du Soudan annonçant la fin du commerce transaharien. Le Sahara actuel est l’héritier direct de l’époque des caravanes : les oasis constituent un héritage de cette époque, le palmier, les ksour, manuscrits…
La cinquième partie traite de la nouvelle fermeture qui a correspondu à l’émergence des Etats-Nations et la perte de la fonction traversière dès le XVI° siècle. L’exploration a conduit à la mainmise coloniale à travers les militaires, les marchands et les missionnaires. Les itinéraires des explorateurs sont essentiellement méridionaux (P Panet, R Caillé, A Laing, H Barth,…). Les projets de voies ferrées transahariennes correspondaient au mythe du transaharien et de l’ouverture. Le XIX° siècle a correspondu à la colonisation et le rattachement à l’Europe tandis que l’indépendance a conservé le cloisonnement et les frontières coloniales donnant lieu à une fragmentation spatiale du Sahara en une dizaine d’entités géopolitiques. Le modèle a été celui de l’intégration nationale avec repli des échanges inetr-Etats et un compartimentage spatial. La frange sud moins développées correspond au Sud du Sahara à la frange nord des Etats sahéliens. La focalisation s’est faite sur les espaces côtiers autour des capitales et des ports, le Sahara correspond aux espaces nomades, les nomades se trouvent bousculés au même titre que certains espaces sédentaires comme la Nubie. Les conflits frontaliers se multiplient (Sahara occidental, la bande d’Aouzou entre Libye et Tchad,..), la turbulence interne est forte notamment dans la marge sud du Sahara où les clivages ethniques et religieux sont importants (Mali, Niger, Tchad, Soudan). La fermeture a eu des effets négatifs sur les espaces sahariens qui se sont exprimés par le repli des franges sahariennes, des villes et des oasis, fixation des nomades et recul des populations avec des déséquilibres écologiques : la désertification croissante des franges qui se trouve relayée par le réchauffement climatique actuel. Le Sahara des Etats a été le responsable de la situation actuelle : un Sahara équipé, mis en valeur (pétrole, gaz), urbanisé, contrôlé, retrourné vers l’extérieur.
La dernière partie traite du Sahara au défi de la mondialisation. On assiste depuis une dizaine d’années au retour du Sahara sur la scène politique internationale et médiatique entamant une nouvelle ouverture : le Sahara retrouve un rôle relationnel, des fonctions de transit. La migration africaine vers l’Europe à travers le Sahara et les ports de la rive nord (carte p 123), le développement des flux commerciaux à l’échelle mondiale, le désenclavement routier ne laisse que deux enclaves majeures, le développement du tourisme et la dynamique démographique donnent lieu à une urbanisation croissante (carte p 131), l’exploitation des richesses du sous-sol (eau, minerais, hydrocarbures) notamment du côté nord, la découverte des aquifères profonds font du Sahara un réservoir stratégique, le développement d’une agriculture spéculative d’exportation (primeurs et arrière-saison). L’énergie solaire y constitue un enjeu majeur et un potentiel de développement. Toutefois, des forces d’éclatement politique subsistent avec les conflits frontaliers avec plusieurs points chauds (Sahara occidental, Darfour….), des fractures socio-économiques entre le versant nord et sud, et des zones d’installation des forces salafistes comme el Quaida et les tentatives d’installation de base militaire outre atlantique ?
Le Sahara apparaît comme une interface, entre le monde méditerranéen et soudanais, une marge mais aussi un espace spécifique : un désert plein et animé compartimenté qui constitue un enjeu de taille dans la stratégie des divers acteurs nationaux et internationaux. Le modèle général est la liaison nord-sud avec alternance ouverture-fermeture où le Sahara a été un pont et une barrière. Les ressources de base (eau, hydrocarbures) ne sont pas renouvelables ce qui constitue un véritable défi pour un développement durable et à l’intégration du Sahara.
La plupart des parties sont suivies de quelques références bibliographiques pour aller plus loin dans l’analyse. Les titres sont toujours significatifs, l’appareillage cartographique est bien fourni appuyant le texte bien rédigé et concis. L’ouvrage se termine par un index des thèmes et des lieux.
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